La naissance de Shana Tova

 

 

Deux juments attendaient stoïquement l’heure de l’abattoir au pré avec un mâle entier réformé de courses. Manipulées sans égard aucun, toutes deux observaient avec grande méfiance les humains. Arrivées à la maison, elles se sont chacune à leur rythme détendues et installées dans le troupeau. Faïza s’est apprivoisée quant à elle, à distance, acceptant les différentes demandes, y compris de monter seule en camion. J’ai respecté son rythme et nous avons ainsi collaboré à distance.

 

Au mois de janvier, après six mois de vie commune, elle est soudain venue me trouver pour que je soulage son ventre. Dans la nuit et le froid tonique, j’ai posé mes mains sur son flanc, comme elle me le demandait. Mes mains ont rencontré un crépitement d’étoiles, une présence douce. Le bébé était là, posé dans le creux de mes mains. Faïza s’est ainsi laissée accompagner de massages et bercer des chants que faisait résonner en moi son bébé. Son corps tout entier s’abandonnait en confiance. On aurait à peine pu distinguer les rondeurs de sa plénitude. Et pourtant, en elle, la vie prenait chaque jour une forme plus affirmée. Le calme revenu en elle, elle a repris ses habitudes, acceptant toutefois de glaner une caresse occasionnelle, et réclamant ponctuellement un chant.

Malgré des rondeurs toujours si peu affichées, mi-avril ses mamelles se sont mises à se remplir. Le soir de la nouvelle lune, elle est venue me trouver, et, posée devant moi, une contraction l’a parcourue.

Dans une fin de nuit tout juste étoilée, j’ai rejoint le pré. Un crépitement d’étoiles a envahi mon cœur en chemin. Le troupeau, paisible, mangeait. Seule, en bas du pré, Faïza broutait. Peu après mon arrivée, elle est venue me trouver, puis s’est mise à arpenter le pré de bas en haut, de haut en bas, pour s’y poser. Le troupeau restait immobile. Deux mâles se sont dressés dans la brume. Les juments écoutaient attentivement. Le jeune étalon blanc est parti sans prévenir au galop la retrouver. Elle n’a eu d’autre alternative que de se relever. De loin l’on voyait deux petites pattes en suspens dans la poche déjà sortie. Le jeune étalon aurait souhaité l’heure propice aux amours. Faïza est venue vers moi. L’étalon, tentant maladroitement de se hisser sur elle a de son sabot percé la poche. Les juments sont alors intervenues pour l’écarter, mais il l’entendait d’une autre oreille. Mon écharpe autour de son cou, j’ai donc suivi le reste des événements à ses côtés. On entendait les cœurs s’unifier dans le silence de l’aube. La pouliche est descendue sur la croupe de sa mère, habillée d’un fin manteau blanc. Délicatement, Faïza l’a décapuchonnée et son visage radieux nous est apparu. Le troupeau était happé par cette précieuse venue. Certains se sont alors présentés à elle, encore contre le flanc de sa mère. Mon cœur s’est mis à chanter, et elle s’est tournée vers moi, reconnaissant ma voix. Je me suis avancée et me suis à mon tour présentée à elle. Faïza peu après se levant, est venue me lécher la main avec solennité.

 

Et lorsqu’une vingtaine de minutes plus tard Shana Tova s’est levée, nous avons tous, d’un seul souffle, respiré. Le bal des présentations a alors commencé. Chacun a arboré son plus majestueux profil, courbant l’échine, bombant le torse avec splendeur, dansant au-dessus de terre dans un trot aérien. Puis les danseurs sont redevenus simples spectateurs, le silence s’est fait, les encolures étaient tendues, chacun observait, captivé, les tentatives de la pouliche à trouver la mamelle. Le temps était suspendu, les minutes s’égrenaient, certains s’impatientaient, mais les spectateurs les plus assidus les faisaient s’assagir. Et puis, la vie a repris son cours lorsque le liquide nourricier s’est glissé dans la gorge de la douce Shana.

 

Shana, signifie faire changer en hébreu. Shana Tova, une bonne et douce année … C’est ce qu’elle vous souhaite …